Mon père ce salaud ⭐️ ⭐️ ⭐️ ⭐️ ⭐️
Le père, la place du père, l’absence du père, la mort du père - la littérature a, de tout temps, fait feu de tout bois de ces thèmes là. Les livres forment une file indienne infinie lorsque l’on cherche, à défaut du divan d’un psychanalyste, une histoire rédemptrice de “papa”. Le cliché Freudien du “il faut tuer le père et coucher avec la mère”, on n’en a pas fini avec ça ? Au premier abord, je comprends pourquoi la littérature continue de faire la place belle aux pères. C’est vrai que nombreux sont ceux qui en ont soupé, élevés à l’amour maternel qui ne peut pas remplacer l’épaule d’un père, les mots d’un père, le regard d’un père. On en a lu des tonnes et des tonnes des livres comme ça, des témoignages en forme de thérapie, servant une écriture réparatrice - oui mais il nous en faut encore un dernier, pour être sûr d’avoir bien compris, une fois pour toutes.

Sur le papier, tu ne t’es pas présenté un jour où c’était ton tour d’avoir les enfants pour le week-end. Pascale Dewambrechies est l’autrice de Géographie d’un père dans lequel elle a créé ta carcasse spectrale et a laissé ta fille - Pascale elle-même - se débattre avec ce fantôme d’un autre type, suite à sa mort d’un cancer du colon. Dans les pages, tu bois trop et fais peur à tes enfants, tu as fait les guerres - celles de l’Indochine et d’Algérie et puis au passage tu abandonnes une indochinoise et ton premier fils la bas. En tant que père de circonstance ou même accidentel, tu n’a jamais digéré que ta fille t’ait demandé de quitter le foyer conjugual, comme ça, sans prévenir, sans s’excuser. Alors que fais-tu? Tu l’abandonneras et ne reviendras jamais. Voilà pour ton introduction à la vie de famille. Après ta mort, ta fille Pascale reprend la plume et le récit de votre histoire prend forme. 25 ans entre ta visite manquée de papa divorcé et ta mort, puis encore 25 ans entre ta mort et l’entame de l’écriture de ce récit. Un demi siècle à jouer à cache-cache avec des fantômes laissant ta trace. Elle finira par sortir Géographie d’un père, aux éditions Passiflore, basées à Dax, et toi par revenir, entre les lignes dessinées à l’encre des larmes de ta fille. Finalement la rencontre s’est produite, comme Pascale Dewambrechies en avait rêvé. Elle qui écrit :
« Je sais que je n’ai espéré rien d’autre si ce n’est qu’un jour, enfin, cette drôle de rencontre ne se produise, cette improbable rencontre, celle que je croyais ne pas vouloir. Jamais. »
Contrairement à ce que j’ai pu lire ailleurs, ce n’est pas un récit de deuil, encore moins un “journal” de deuil, car cela impliquerait des dates, des lieux, et tout ce qui s’en suit. Le livre “Géographie d’un père” est plutôt une enquête, un véritable “thriller” de deuil si l’on tient à ce terme qui s’inscrit dans une longue tradition française. On pourrait même aller jusqu’à dire que c’est une master class du deuil, car dans le genre on fait difficilement mieux. C’est le deuil avec toute la verve romanesque de Pascale Dewambrechies, sans pathos ni jugement, sans aucun bon sentiment, sans rien, juste l’os du deuil, celui de Pascale W., avec toutes ses émotions, tous ses sentiments, et puis aussi ses blessures.
À lire absolument.
Olivier Vojetta
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