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Lettre à Mylène






Mylène, ma libertine.

C’est fou comme très tôt l’on bande, aime et souffre, fou d’être à 12 ans ou à 13 ans à la fois épris, malheureux et suant la saleté et l’odeur verte de la baise, terrible magma ! Fou comme l’envie de sexe vous tatoue très tôt des supplices aux séquelles indélébiles. Je ne sais toujours pas ce qui inscrit très tôt dans les chromosomes le désir de la chair, je devrais dire de la chatte, mais qu’il fut douloureux ce moment de ma vie ! Car très tôt, j’ai voulu savoir, voulu toucher, humer, fouiller, boire dans l’entrecuisse des rousses ce calice qui dit-on désaltère à vie et décontracte quelques obscurs nerfs du désir.

L’écran s’est allumé en cinémascope, la première scène m’a tout de suite électrocuté et je me suis senti durcir sans la possibilité de me mouvoir, puis très vite c’est une peur qui coagulé mon sang, une peur de toboggan, vertigineuse mais agréable.


Les marécages, les bottes, les pas.

Les grenouilles qui coassent.


« William, viens voir !

Qu’est-ce que tu as trouvé ?

Seigneur, accorde-lui la miséricorde… et à nous aussi.

Ce garçon devait être très beau.

C’est une fille !

Non, c’est un garçon !

Non, c’est une fille ! Regarde ses mains… elles sont si fines...

Pas plus que les tiennes !

Tout d’un coup, la personne blessée, le visage en sang, se redresse.

Il est vivant !

Mon Dieu ! Elle est vivante ! »


Qu’allait-elle encore me faire subir ? Quel sous-officier allait encore la soumettre à ses coups de fouet ? Quel lieutenant ou capitaine allait croquer sa peau de lait ?

Maman n’aimait pas cette femme qui mettait de lourds manteaux d’hommes et qui exhibait sur le champ de bataille ses seins de Bakélite. Elle haïssait cette “salope” aux airs de garçon manqué, et c’est souvent qu’elle s’emparait de la télécommande en roulant de gros yeux soupçonneux.

Les marécages, les bottes, les pas.

Les grenouilles qui coassent.

À la première scène, elle disait : “Allez !” et fallait vite changer de chaîne non sans, à notre tour, la maudire de nous priver du seul moment de félicité de nos tristes existences, ces dix-sept minutes et cinquante-sept secondes qui donnaient à voir des vallons d’une beauté son nom, scandaleuse, à s’en jeter la tête contre les murs, oui le seul moment qui vaille d’être vécu.


19 août 1757. Un détachement de l’armée de Sa gracieuse majesté George II, commandé par le courageux Capitaine Alec Parker, débarque aux Pays-Bas et entre en Prusse. Il vole au secours de Frédéric II qui est assiégé par la coalition Franco-Austro-Russe. Hélas pour eux… ce jour-là…


Par chance ce soir-là mes parents étaient de sortie et Dieu sait qu’en leur absence des embruns de rousses envahissaient nos narines et nos têtes suppliantes tournées vers le ciel s’ouvraient pour recueillir les rêves interdits. Enfin ! on allait mes frères et moi pouvoir regarder le clip jusqu’à son générique de fin.

L’été, dans le quartier Bautzen, c’est souvent qu’on s’invitait entre voisins du Grand Parterre. Mon père, ce soir-là a embarqué son jeu de dames et ma mère sa boîte à munster. Notre petit salon tapissé a alors pris des airs de charnier, un panorama de champ de bataille, et mes yeux se sont calés en direction du suprême Graal.


« Sir ! C’est affreux !

Qu’y-a-t-il Mister Swift ?

La fille… elle a parlé !

Et alors ?

Elle a dit : “Où suis-je ?”

“Ousuige ?” Qu’est-ce que ça veut dire ?

C’est du français. Sir ! C’est affreux ! Nous avons fait fausse route ! Nous ne sommes pas en Prusse… mais en France !

Seigneur ! C’est affreux, en effet ! Nous n’avons aucune troupe ici. Si les Français nous attaquent, nous serons massacrés ! … Est-ce que la fille vivra ?

Oui, Sir… je suppose.

Bien, dit le Capitaine Alec Parker en finissant de boire son café, visiblement satisfait.

Il marque une pause, caresse la crinière de son bel Alezan.

Elle a l’air si douce… si douce…


Dès qu’elle est apparue je me suis senti pris à la gorge, un sentiment d’étouffement m’a affolé suivi d’une insupportable difficulté à déglutir, la voilà ! Dès les premiers coups de fouet, ça a cogné dans ma poitrine ! et bing et bang ! Question : combien de temps allait-il falloir attendre pour admirer le haut de ses porte-jarretelles ? Sa petite poitrine grande ouverte à tous les crocs ? La découvrir peut-être ? Allais-je enfin découvrir cette géographie interdite ? Ce renflement irrésistible provoqué par un corset plus cruel que le nœud qui enserre le cou du pendu ? Allait-elle offrir à un quelconque fantassin ces deux vallons gorgés de sang, de sucre et de lait chaud que tant d’assoiffés désespèrent de téter ? Allait-elle s’abandonner sous la caresse d’une infirmière un peu trop zélée ? Glapir comme une chienne, céder à la faiblesse d’un déserteur ?


Alec Parker est avec elle sous une tente. Les longs manteaux tombent. Les tambours résonnent. Les seins dépassent. Les mains s’entrelacent. La chose se passe. La sueur. Et tout d’un coup la peur. Les canons. Les boulets. Les fesses au-dehors. Les chariots, leurs roues de bois. Les chapeaux à plumes qui échouent dans la boue. Les coups de pistolets. Et de fusil aussi. Les regards qui se troublent. Avant de disparaître au loin, nulle part, dans le noir.


Bon sang ! Est-ce que les autres garçons, est-ce que mes frères suffoquent comme moi au son de Pourvu qu’elles soient douces ? Est-ce que leurs cœurs s’affolent ? Est-ce qu’ils se glissent tout plein de fièvre dans des lits de tombe et plongent dans les ténèbres roses de ce territoire inflammable qu’est le derrière d’une rousse ? Est-ce que dans le noir, ils ouvrent de grands yeux d’orphelins abandonnés du monde et ce jusqu’au petit matin ? Ça, je ne le saurai jamais car il y a chez les pauvres un endroit qui garde son jardin bien secret, le cœur gardien d’un orgueil plus grand que la misère.


Les coups de canon continuent de tonner dans une musique d’apocalypse. Les chevaux ploient, trébuchent, s’affaissent. Morts, enfin. La fin du monde n’est pas loin. Les fusils à baïonnette. Le sang des hommes. Il faut les soigner, mais comment ?


Donc, je me suis accroché à mon siège comme un cosmonaute à sa cabine, et le clip a continué de défiler. Je me foutais des scènes d’action et des mauvais sous-titres d’antan. Je ne voulais ni des dialogues surannés ni du suspense censé nous maintenir ensorcelés. Ce que j’attendais, c’était de les voir elles, rien qu’elles, de long en large et de bas en haut dans leurs exquises robes de peau, tendues vers le ciel et gonflées d’hélium. Mylène, sa Majesté La Reine, c’était ma Tabatha à moi, ma baise secrète, mon vice autorisé. Et ce soir-là, surpris, j’ai eu le frisson ultime, tout dans la caricature des fluides chauds des Milles et Une Nuits, soulagé de ma peine, du plus absolu des maux, barbare à souhait, sournois et suceur de la vie qui anime le moindre de mes mouvements, le plus futile de mes gestes, la plus insignifiante de mes transes… mais un mal sublime quand même. Instantanément, je me suis senti libéré d’un poids encré depuis toujours dans le creux de mes épaules.


Un silence inhumain succéda au massacre. Souvenons-nous que bêtes et gens naissent pour, un jour, exhaler leur pestilence. Dieu, dans sa miséricorde, verse le sang des hommes, pour les laver de leurs péchés.


Quoi ? Une rousse irréelle qui soigne la plus incurable des obsessions, c’est donc possible ? Moi, le malade de la chair, l’obsédé des entrecuisses, j’ai droit à la plus noble des absolutions, à la sorcière aux cheveux de feu ? Et j’ai plongé. Je me suis retrouvé accroupi comme un fœtus dans le plus bel endroit qui soit. Oui, j’étais entre ses cuisses, la tête agrippée à une jarretière comme à une branche d’arbre sans qu’elle ne s’aperçoive de rien. J’étais une espèce de Liliputien sous le plus beau feuillage qui soit. Je n’osais plus lever la tête car là, juste au-dessus, la plus belle broussaille s’offrait à moi. De part et d’autre d’une large culotte, je distinguais du coin de l’œil d’épais massifs gonflés en frisottis, deux petits buissons vermillon échappés d’un bout de soie immaculé et ça m’a donné faim, le voilà mon dessert.

J’ai pensé, peut-être qu’en m’élevant y trouverais-je de ces fruits succulents que donnent les plus hostiles maquis et l’eau m’est venue à la bouche. Comme un Tarzan à sa liane, je pesais le poids d’une plume et me jurais de ne rien lâcher, c’est là que je veux vivre le restant de mes jours quitte à ne plus jamais dormir. Elle marchait, et ma tête rebondissait de l’intérieur d’une cuisse à l’autre. Décidé à en savoir plus, j’ai grimpé bien qu’étouffé par une odeur d’épice et un soupçon de noix de muscade, je n’aimais aucun de ses condiments mais sous la lèvre galante, je leur trouvais des notes de cannelle et des vertus euphorisantes.

Plus j’escaladais, plus je bavais tout le lait, c’est donc ça l’odeur du bonheur ! C’est là que j’ai senti mes canines s’allonger pour la mordre, oui, la mordre car je cherchais une vengeance. Maman m’avait prévenu : « Tu reconnaîtras le Mal à sa chevelure fauve. Et si par malheur Il s’arrête devant toi… surtout ne le regarde pas ! Ne le regarde pas ! » Sous le régime omnipotent de Maman, j’étais de retour à l’Inquisition, je suspectais toutes les filles rousses d’avoir eu des relations avec le diable.

Plus qu’aimer, je voulais lui faire payer l’acide et l’amertume et la trace d’une lame qui avait lacéré mon cœur. C’est ça ! je voulais lui rendre gorge pour sa peau transparente, ses petites taches rousses pleines de malice, pour ses corsets cloutés que d’aucuns se seraient plus à déchiqueter, bref, lui faire payer l’insolence de ses formes mais dans ces hauteurs une fragrance âcre et laiteuse extraite du fond de son entre-jambe m’a étourdi. Vers minuit, Maman nous a trouvé endormis, et j’ai dit : “Maman, j’ai faim ! — Tu m’as pas assez tétée comme ça ?” Le mal allait frapper une dernière fois, je l’ai compris à ce moment-là. Mylène m’a pris avec elle. Je ne l’ai jamais revue. Mais jamais je n’oublierai l’odeur de son parfum et la douceur de sa peau tandis qu’elle m’emportait vers l’enfer.

O. V.


Note : texte soumis au Prix de la Nouvelle Erotique, créé par les Avocats du Diable, et proposant un nouveau défi littéraire : écrire durant la nuit la plus longue une nouvelle inédite en respectant la double contrainte d'un contexte et d'un mot final. Plus d'infos ici: https://prixdelanouvelleerotique.wordpress.com/les-auteurs-trices-racontent/

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