La vie après Charlie Hebdo, selon Simon Fieschi
Simon Fieschi - Survivant de l’attaque des frères Kouachi au siège de Charlie Hebdo le 7 janvier 2015, l’homme de 40 ans a bien voulu se confier en partageant son expérience de l’avant et de l’après. Surtout de l’après. A quelques mois du triste dixième anniversaire, le public australien réputé pour sa ferveur francophile appréciera.
Par OLIVIER VOJETTA
Source: Le Courrier Australien

J’ai rendez-vous avec l’un des membres de l’équipe de Charlie Hebdo à ne pas être obligé d’avoir une protection policière jusqu’à la fin de sa vie. Aujourd’hui, ceux qui en ont une, sans doute à vie, sont Riss, le directeur de la publication, Gérard Biard, rédacteur en chef, Zineb el Rhazoui, ancienne journaliste de Charlie. D’autres de manière épisodique. Mais pas Simon Fieschi. Tee shirt vert militaire sur pantalon de toile bleue, mèche brune coiffée sur le côté et visage poupon, il a tout l’attirail du jeune homme qui commence tout juste dans la vie. Simon Fieschi est l’ancien webmaster et community manager du journal satirique Charlie Hebdo, bénéficiant maintenant d’une pension de l’état pour le compenser de son « accident du travail », l’attaque à la kalachnikov sur son lieu de travail des frères Kouachi qui l’a laissé invalide à 80%.
Diplômé dans le domaine des sciences humaines, il a fait, de son propre aveu, « plein de choses bizarres avant de rejoindre Charlie ». Il n’empêche qu’il a tout du parfait ami, d’autant plus que, à l’aube du dixième anniversaire de l’attaque, il semble avoir atteint sinon une paix intérieure du moins une certaine sagesse au sujet de ce qui lui est arrivé. Son calme fait du bien, il ne craint pas les silences, chose devenue rarissime en ce monde sur agité parlant à tout bout de champ. Quelques sourires en coin émargent de temps en temps de son visage imberbe, son débit de parole est mesuré, lui qui cherche à trouver le bon mot pour chaque pensée, levant les yeux en l’air pour s’assurer de dire les choses de la façon la plus juste qu’il soit. Le jardin de leur appartement est juché de hauts arbres qui s’élancent vers le ciel bleu de Paris, on tombe même sur un olivier dont Maisie, son épouse Australienne, s’étonne qu’il ait pu pousser là. Les anciennes carrières de Ménilmontant, me dit-elle, ont rendu la terre particulièrement fertile et « des plantes un peu bizarres » poussent à la surface du gazon. C’est beau et aussi légèrement inquiétant. C’est un éden végétal qui a permis à Simon Fieschi d’aller dehors sans pour autant aller dehors, dans la rue des champs parisiens, après les jours les plus sombres ayant suivi l’attaque. Il lui faudra une semaine de coma et neuf mois à l’hôpital avant de pouvoir revenir chez lui, pour faire la rééducation, apprendre de nouveau à marcher, à fonctionner. Nous avons tous connu des moments dans notre vie qui constituent un point de jonction avec un avant et un après, mais ils sont peu à l’avoir vécu de façon aussi marquante.
Comment vit Simon aujourd’hui ? Plutôt bien, plutôt mieux, après un gros burn-out il y a 18 mois. Il n’en pouvait plus d’être dans un monde fait de critiques satiriques, de blasphèmes, avec le risque constant de se faire attaquer. Il aspire maintenant à plus de tranquillité, et se sent serein de profiter de sa pension « sans trop de culpabilité ». Même s’il avoue s’être demandé quoi faire de sa vie pour ne pas être un « parasite » pour la société. Il lève les yeux aux ciels une nouvelle fois, comme pour fouiller dans ses pensées. Du haut de ses 40 ans, l’ancien webmaster et community manager de Charlie Hebdo n’a rien à envier aux autres. Il est papa et vit une histoire d’amour de longue date, étant marié avec une jeune femme Australienne qui a fait des études de littérature à Sydney et dont la maman n’est autre que Ursula Dubosarsky, une autrice des plus réputées écrivant pour les enfants dans le pays portant le surnom de Lucky Country. « On s’est rencontré via un groupe d’amis, il était le seul français », me confie Maisie. Ils ont été mariés à la mairie du 11ème arrondissement de Paris par Anne Hidalgo, entourés de leurs familles, des collègues de Charlie Hebdo… et de leurs gardes du corps. Depuis, ils partagent leur vie avec ses hauts et ses bas, pour le meilleur et pour le pire. Maisie travaille à la bibliothèque Américaine, elle est obligée de nous laisser, et puis nos tasses de café sont depuis longtemps vidées. « Ça ne me dérange pas de boire du café froid », m’avoue Simon. « Moi non plus », lui ai-je répondu.
Et sur le fond, alors, me demanderez-vous. Une philosophie de vie et de pensée semble avoir germé dans la tête et le cœur de Simon Fieschi. « Pour certains, ceux qui ont perpétré des attaques terroristes sont considérés comme des héros ». Je suis d’accord avec lui, et ajouterais même que nombreux sont ceux qui ont été des héros avant d’être des salauds. Mais les attaques de Charlie Hebdo et celles du 13-Novembre sont très différentes. « La première était un « assassinat politique », pour reprendre l’expression de Riss, le patron du journal, tandis que la deuxième était un cas de « au mauvais endroit au mauvais moment », avec le côté aléatoire de la chose qui rend ces événements encore plus horribles, encore plus injustes pour les personnes qui en ont été victimes, de façon directe ou indirecte, malchanceuses d’être là. Même si, bien sûr, cela n’induit pas que le meurtre de masse dont les collègues de Simon et lui-même ont été la cible est « plus juste ». Dans tous les cas, l’année 2015 était une de ces années horribilis qui a été suivie d’une autre année compliquée, avec le Brexit et la sortie de l’Europe du Royaume Uni, sans oublier l’élection surréaliste mais hautement anticipée de Donald Trump. Alors quoi, c’était mieux avant ? Pas mieux ni moins bien, juste différent, avec un avant et un après.
Le doux ronronnement de notre discussion s’arrête un instant, je demande à Simon Fieschi si je peux prendre une photo de lui. Un chat noir passe, il s’appelle Dupond. Il y en a un autre, qui se cache quelque part, et qui s’appelle Dupont aussi. Dupond et Dupont, Simon a un sourire en coin quand il le dit, heureux de sa propre drôlerie, et de sa bien méritée légèreté retrouvée. Pour un moment, tout du moins. Un moment gravé dans les tablettes du temps comme un moment de répit au sein du fracas du monde dans lequel il nous faut bien continuer à vivre, tant bien que mal, pour nos enfants. Et pour tout le reste sans doute aussi. C’est en tout cas ce que les yeux de Simon m’ont dit quand je suis parti.
Par Olivier Vojetta
Note - Simon sera au Philo Bistro de l'AF de Sydney le 9 Octobre - inscriptions ici: https://www.afsydney.com.au/whats-on/philo-bistro/
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