Dans le bush avec Agnès Clancier - ou le walkabout façon littéraire
C’est d’abord la couverture qui m’a happé. Le pointillisme des aborigènes australiens y éclate, et j’y retrouve les échos d’une petite toile que j’ai acquise il y a quelques années, un souvenir d’une Australie poétique et rebelle. Mais ce n’est pas qu’une histoire de visuel. Quand un livre français parle de l’Australie, ce pays où je vis, c’est plus fort que moi : je m’y plonge. Après Kietu? de François Dominique, voici Dans le rêve de l’arbre creux d’Agnès Clancier, publié par les Éditions du Sonneur, sous la direction de Marc Villemain.
Neuf mois m’ont été nécessaires pour véritablement entrer dans ce texte. Neuf mois pour m’en imprégner, réfléchir, et enfin, créer mon propre récit, là, dans le creux de mon arbre intérieur. Peut-être que ce délai, cette gestation, était essentielle pour saisir la profondeur du livre. Comme un exil volontaire qui nous prépare à la confrontation avec nous-mêmes.
Elizabeth Murray : figure de l’exil et de la résilience
Elizabeth Murray, évadée du pénitencier de Port Jackson en 1791, traverse ce livre comme une ombre vivante, une femme forte, presque intemporelle, poursuivant une quête de liberté. Elle fuit l’Angleterre, son smog londonien, ses chaînes visibles et invisibles. Et je ne peux m’empêcher d’y voir des parallèles avec ma propre vie, moi qui ai quitté Londres après 13 ans d’enfermement urbain. Elizabeth, elle, marche, rêve, résiste.
Ce qui frappe, c’est le rôle central de la nature. À travers ses descriptions, Agnès Clancier sculpte un monde à la fois refuge et menace. Les arbres sont omniprésents, presque des personnages : « Dans ma fuite solitaire, je suis très entourée. Les arbres me regardent. » Et pourtant, le mystère de l’arbre creux ne se dévoile qu’à la fin, comme un secret enfoui qu’il faut mériter.
Une poésie au cœur du bush
Clancier écrit avec une prose poétique magistrale, qui danse avec le paysage australien. Les mots vibrent, respirent. Ils ont la texture du spinifex, le goût de la rosée bue par le vent. Chaque page est un tableau, un instantané : « Ce matin, j’ai dormi trop tard et le vent avait bu la rosée. » À d’autres moments, l’humour surgit, comme dans cette description des koalas, ces « petits ours patauds qui vivent dans les arbres », ou dans la réflexion piquante : « Je me méfie des êtres qui me ressemblent. » Un conseil que Trump et Musk feraient bien de méditer.
Une litanie de mots et d’images
Certains passages m’ont néanmoins renvoyé à ma propre distance avec la langue française. Des mots rares, anciens, que j’ai dû chercher : pandémonium, tiretaine, meliphages. Mais ces termes enrichissent le texte, lui donnent une densité presque palpable. Ce livre est une master class de poésie, un kaléidoscope de couleurs et de sensations, peuplé de loriquets multicolores et de baobabs ventrés.
Un récit universel et intime
Dans le rêve de l’arbre creux est bien plus qu’un roman historique. C’est une réflexion sur l’exil, la résilience, et notre lien à la nature. À travers Elizabeth, Agnès Clancier nous invite à interroger nos propres récits, à chercher ce lieu qui gardera notre mémoire, jusqu’à après notre mort. Pour moi, ce serait peut-être un stade à Nancy, là où j’ai laissé tomber l’enfant sage que j’étais. Et vous ? Quel sera le lieu de votre récit ?
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