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Paris ou la vie sauvage selon Joffrine Donnadieu



Je n’ai jamais vraiment cru à la différence entre réalité et fiction ; elle ne mène qu’à l’assèchement du langage. La vérité brille entre les deux, à l’endroit de l’échancrure, lorsque le voile, en flottant, révèle un peu l’abîme où elle a été déposée. C’est dans ce creux-là que JD opère, de façon mystérieuse, souterraine. « JD » pour Joffrine Donnadieu. JD comme le surnom du pote de lycée que j’avais à “Toul-les-boules” et qui s’est suicidé.


Chienne et louve va et vient entre des huis clos – Pussy’s, appartement de la place Gustave Toudouze – et extérieurs, lieux de fuite et parfois de perdition, dont Toul fait partie. Cette ville moyenne un peu tristoune sert de décor bis en contre-plan. Située à 20 kms de Nancy, c’est-à-dire à l’autre bout du monde quand on est enfant, Toul est ce lieu où les parents de Romy, étudiante de 20 ans au Cours Florent, vivent encore aujourd’hui. Cet endroit où Romy tente de revenir à différents moments du roman pour y trouver l’amour qu’elle n’a pas reçu enfant.


Et c’est dans ces instants d’extrême détresse, à l’endroit même de « l’échancrure » pour revenir à mon point de départ, que je trouve Romy la plus belle, la plus sincère, toute irrésistible qu’elle est de vérité. C’est sa ferveur, sa passion qui fait toute la puissance de l’histoire. Le refus des conventions, le choix de l’amour et de la violence, un mélange d’idéal et de rêve. Chienne et louve est le roman des gens au bord de l’abîme, la description du noyau blessé de l’existence. Ce livre dit la beauté de l’indicible.


Romy n’est pas seule dans cette aventure aux allures de naufrage, il y a toute la « Minuit Ménagerie », sorte d’arche de Noé composé d’animaux miniatures en verre poli. Comme dans un dessin animé, ces animaux ont des prénoms, si bien qu’on s’y attache très vite : Odette la vielle jument, Romy la jeune louve, sans parler du louveteau qui n’aura quant lui jamais de nom officiellement mais que l’on ne peut s’empêcher de pleurer. Mais il y a quand même un petit problème dans ce gentil chaos : quand on a connu l’état d’animal domestique, ce n’est pas facile de retrouver l’état sauvage ! Romy veut faire taire la chienne qui sévit en elle. “Va coucher !” Elle lui parle comme à un chien. “La carne, elle se débat”. “La garce a de la poigne”. Elle dit ça à Odette, son intendante vieille de 90 ans, mais elle dit aussi ça à elle-même, c’est à dire à son Moi de 9 ans, cette fillette aux grandes boucles d’un blond vénitien. La vieille Odette est son exutoire, sa catharsis à elle, la scène sur laquelle elle se débat. Là où les deux félines font la guerre et la paix, la fusion et la littérature. Là où, parfois, Joffrine laisse échapper des mots doux comme arrachés au silence, à la mort.


Des mots rattrapés au dernier moment dans les filets d’une histoire forte et puissante en laquelle on croit et qui nous met face à nos propres animosités, à notre profond désir de mordre notre voisin, de lui faire mal, à notre envie de le torturer si il le faut. Au-delà de la justesse des émotions qu’il convoque, c’est peut-être ça le grand sujet de ce livre : cette immense capacité des animaux à être vrais. Car seuls les animaux sont véritablement authentiques. Les gens ne savent jamais exactement ce qu’ils ressentent, ni qui ils sont vraiment. Par orgueil, ils croient être quelqu’un qui leur plaît. Mais ils ne lui arrivent pas à la cheville.


O. V.

Sydney, 25 septembre 2022.


Note - Joffrine Donnadieu sera mon invitée lors d’un Philo Bistro exceptionnel et accessible à toutes et à tous le mercredi 7 décembre de 9h30-11h heure de Paris et 18h30-20h heure de Sydney.


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