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Écrire, c’est un grand chagrin


C’était rue Dante, du 16 au 20 juillet 2018, pendant un stage d’écriture. Mais pas au niveau de la rue : au sous-sol, derrière une grande bibliothèque. Frédéric Ciriez s’y est installé avec nous, autour d’une table carrée. Il a parlé puis ce fut notre tour. Nous avons lu nos textes les uns après les autres, pour entamer des conversations sur la sémiotique, la stylistique, les modes de narration, soit l’art et la manière de mener un lecteur jusqu’à l’arène, scène de la dramaturgie. Il a parlé puis ce fut notre tour, afin que nous comprenions ses sensibilités d’auteur, celles de nos voisins de table, les nôtres propres. Il a parlé puis ce fut notre tour : nos mots demeurent, les voici. Car si la conversation s’est cruellement interrompue, elle continue pourtant, au plus profond de nous, à la surface des sens.

Écrire, c’est choisir.

Tout part toujours de là. Roman noir psychologique, fiction réaliste, poème lyrique... Si les genres sont nombreux, les sujets fascinants le sont plus encore.

Écrire, c’est un bras de fer.

Tout le monde ou presque rêve d’écrire un livre, surtout en France. Très peu iront jusqu’au bout, la route est si longue et tellement sinueuse.

Écrire, c’est s’ouvrir à soi.

Un roman, c’est une petite dramaturgie interne. Ça peut faire mal, on ne sait pas sur quoi on va tomber. Mais il n’y a pas de littérature sans risques. Le héros, c’est toujours celui qui a le plus à perdre...

Écrire, c’est dresser un pacte avec le lecteur.

Lui dire à quoi s’attendre, et puis le surprendre, le tromper, le mener du bout du nez.

Écrire, c’est essayer de vivre même si...

Le réel est parfois tellement horrible qu’il nous faut le marteler en l’écrivant. C’est pour cela que je fais du roman réaliste.

Écrire, c’est une célébration de la langue.

Ce n’est pas faire du Jean-Christophe Grangé. Lui scénarise, il aligne les phrases mais c’est de l’eau. Pour faire un page turner avec du style, mieux vaut se tourner du côté de Nabokov et de sa Lolita.

Écrire, c’est jouir.

Roland Barthes le dit mieux que moi : « L’écriture est ceci : la science des jouissances du langage. » Pour cela, il faut de la stylistique, c’est la base.

Grangé, lui, n’est pas dans le langage.

Écrire, c’est sculpter.

La littérature, c’est un truc impur. On peut toujours plus enlever, on peut toujours plus densifier un texte.

Jean-Patrick Manchette est le maître dans ce domaine. C’est lui le patron. Dans son écriture, « seuls les comportements, les actes et les faits sont décrits mais presque jamais les sentiments et les états d’âme. » nous informe Wikipédia.

Écrire, c’est oublier l’argent.

Un roman réussi, c’est entre 2000 et 5000 copies. Un auteur comme Régis Jauffret vend 10000 livres. À deux euros pièce, il gagne 20000 euros.

On n’est pas dans la littérature pour l’argent.

Écrire, c’est un grand chagrin.

Aucun d’entre nous ne sera édité. À moins que... Être accepté, c’est un accident. Les autres seront des « artistes sans œuvre », pour reprendre le titre du livre de Jean-Yves Jouannais. Des artistes désœuvrés, voilà ce que nous serons probablement. Mais peu importe, dans « écrivain raté », il y a écrivain.

Écrire, c’est surtout écouter Frédéric Ciriez.

Vendredi soir, avant que je ne quitte pour la dernière fois notre sous-sol (et notre petite famille commune), Frédéric Ciriez m’a dit :

« Olivier, tu as quelque chose de Beigbeder, il faut que tu continues. Que tu ailles au bout. Il faut que tu fasses ressortir le vice. »

Il était déjà tard, nous avions beaucoup bu, je n’étais plus sûr de l’heure qu’il était, ni des mots qu’il fallait prononcer.

J’ai dit « merci » et je suis parti.

O.V.

Notes

Les Mots, une école d’écriture d’un nouveau genre, ouverte à tous.

https://lesmots.co/


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