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Maroubra, La Place Du Village


Belle histoire, samedi 2 décembre, dans l’enceinte du Lycée Condorcet à Maroubra. La cour a changé de configuration, voyant s’installer étals et barnums pour le Marché de Noël français, l’événement incontournable de l’année pour tous les amateurs de gastronomie et d’artisanat à la Française.

Dès 10 heures du matin, l’odeur alléchante de merguez, de raclette, de gaufres a attiré des centaines de convives. Petits et grands, Français ou non, quelques officiels, et une multitude de petites gens. Tout le monde est venu, tout le monde est là. Même les membres du comité de gestion, même Monsieur le Consul. Normal, me direz-vous. Ici, c’est la place du village, là où l’on se retrouve chaque matin en déposant nos chères têtes blondes, là où l’on fait les courses de Noël. Cette cour est l’épicentre de notre vie, ce lieu où notre histoire à tous s’entremêle, la nôtre autant que celle de nos enfants.

L’histoire justement, parlons-en. Elle commence comme prévu. Les enfants se lancent dans des courses sensationnelles, entonnent des chansons à tue-tête, s’interpellent au milieu d’éclats de rire. Leurs parents se parlent, entre deux joutes. Comme d’habitude, les dégustations de vin et de champagne délient la langue des Gaulois. Quelques fois ils se retirent au milieu d’une discussion, d’une phrase même, comme la mer, partant à la recherche de leurs progénitures depuis trop longtemps disparues. Nombre d’entre eux sont Français, ils se connaissent, se reconnaissent en plein soleil. Le gentil chaos s’installe, au milieu des cris de joie, des visages charmants, barbouillés de chocolat. La scène semble durer une éternité. Ne vous y fiez pas. Tout d’un coup, lorsque la certitude d’une belle journée s’installe, tout semble se mettre en branle, bientôt tout vacille. Les nuages lèvent leur ombre immense. Tous les vents de la mer se rejoignent. La pluie tombe tel un rideau de fer. Tout le monde est piégé, stupéfait, et pourtant, et pourtant... l’Histoire, encore une fois, avec un grand H. Au milieu des étals de fromages, des barbecues saturés de saucisses, et des tableaux d’anonymes, on oublie parfois que Maroubra est un nom d’origine aborigène qui signifie place of thunder. Que c’est un endroit sauvage, célèbre pour une plage qui chuchote le Sud, le bout du monde, l’une des meilleures de Sydney pour pratiquer le surf. Celle-là même où le 5 mai 1898, un navire britannique échoua sa cargaison d’acier, pris dans la tempête du siècle. La nature se rebiffe, nous projette dans des espaces incertains. La nature toute puissante, maître en ce bas monde, hier et aujourd’hui. Elle se réveille, descend dans la cour, secoue Maroubra, le théâtre de la vie – celui où tant de scènes se sont jouées. En avant ! On vient de réveiller ses instincts primitifs. Ceux des Bra Boys, ce gang de surfeurs établi localement depuis 1990, les seuls manquant à l’appel. Qui s’occupe d’eux ? Qui songe à eux ? Les violents affrontements avec la police et les riverains qui les ont rendus célèbres jaillissent sans prévenir dans notre mémoire. Très vite, la foule immense bat en retraite. Chacun se rue dans le grand amphithéâtre pour s’abriter, au milieu d’un flot noir d’humains aux accents connus. Il y a des bousculades, des pleurs commencent à se faire entendre, tandis que la pluie diluvienne continue de s’abattre sur la grande cour du lycée. On voit des fronts en colère, des larmes qui coulent. Dehors, les rubans tricolores apparaissent soudain tristes, malmenés ; ils ne sont plus que des visiteurs, des passants laissés pour contre, ils sont comme ces chiens abandonnés sur un parking, au début des vacances d’été.

Maroubra. Alors que la place du village prend l’eau, on ne peut faire autrement que de se répéter ce mot, encore et encore, tel un mantra lancinant.

Ma-rou-bra, devrait-on sans doute dire, pour s’assurer qu’à nouveau tout ce petit monde l’entende bien, le comprenne.

Ma-rou-bra. Se le dire en trois parties distinctes, pour mieux en savourer la prononciation, bien écouter la manière dont il sonne, ce mot un peu bizarre. Ce mot si proche de la France, et pourtant si loin.

Article paru dans le Courrier Australien :


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